Je crois que vous vous êtes trompé de chemin# Cheshire

Archibald plissa le nez. S'étirant comme un chat, il épousseta d'un air faussement offensé sa veste, avant de se redresser d'un bond théâtral. L'allure éthérée et le port altier, un sourire sardonique avait étiré les traits de son visage. Il haussa le sourcil droit - le gauche était occupé à assombrir un œil aux ombres céruléennes, puis humectant sa lèvre inférieur d'un air malicieux, se décida à ouvrir les bras et hausser les épaules. Regard en coin. Ah, mener le jeu, c'était bien facile, assurément. La pauvre blonde avait l'air perdu. Ou agacé. Les deux ? D'un revers de main, il effaça Alice. Elle était pleine de bon sens, cette enfant. Mais à Wonderland, il fallait se mettre à l'évidence. Les personnes censées n'existaient pas.
Pour ce jour noir sous les cimes, le Chat était de fort bonne humeur. C'était facilement jouable de perdre la tête pour l'apprenti cinglé qui s'amuserait à provoquer Archibald, qui aimer se distraire aux dépends d'une petite tête téméraire. Mâchouillant sa langue distraitement, tournant la mèche un peu trop longue de sa tempe autour de son index, il baya aussi élégamment qu'un éléphant centenaire unijambiste.

Considérez que le jeune homme, d'aussi loin qu'il s'en souvienne, avait toujours été amusé par tout ce qui avait un regard égaré ou ingénu. C'était d'ailleurs par sa très grande bonté qu'il leur venait en aide, aimable et espiègle, déballant les conseils et factices qui inondaient son cerveau cinoque. Pas facile d'être fils prosaïque d'aristocrates quand ceux-ci étaient tellement liés l'un à l'autre que le père était mort le jour de l'anniversaire de sa femme et c'est à son anniversaire à lui que cette femme décéda. Tout ça avait été, évidemment, fait le plus naturellement du monde. Le suicide n'était point de mise. Ce n'était pas un épisode tragique pour le Chat. Peut-être ne voyait-il pas ça comme étant monstrueux parce qu'il était daltonien. De toute façon, Archibald et fidélité étaient antinomiques, alors personnes ne s'en est fait bien longtemps pour le minet. Il était débrouillard, et n'avait pas besoin de fillette pour lui tirer la queue. Pardon, lui casser les noises. S'il avait été un peu plus désintéressé, Hartwood aurait pu monter une troupe de théâtre. Mais il n'appréciait que très moyennement donner la réplique et encore moins qu'on lui pique la vedette. Beaucoup avaient compris que demander un quelconque service à Archibald, c'était comme pisser dans un violon. Parfaitement inutile, en somme, à pars les faire tourner ce qui n'était pas forcément appréciable.
De cette envie irrépressible de jouer les marionnettistes, en découlait un besoin intrinsèque de voir son compagnon de jeu dans la merde. Comme lorsque la seule pensée de pincer celui ou celle en face de vous vous tourne dans la tête comme un disque. Le dit chat de Cheshire n'était en rien sadique. Mais, appelez ça comme vous l'entendez, il a une volonté narquoise qu'on ne sait pas lui déloger.

Mis à part le sombre côté qui pousse parfois Archibald à dépasser les limites du politiquement correct - quoique, ici il faut une marge pour l'atteindre, cela va sans dire - le brun à rayures est d'un naturel farceur et condescendant. A s'y méprendre, on penserait qu'il fait du charme. Malheureusement, son sourire charnu et ses œillades ne font que justifier ses curieuses manies. Rire sarcastique. On tourne le dos et le Chat est déjà perché sur sa branche. C'est qu'Archibald manie avec excellence l'art et la manière de fausser compagnie. Lèvres retroussées, respiration lente et ténue si charmeur il a l'air, ce n'est pas pour autant que son sourire laisse un imprimé désagréable dans les mémoires. "C'est la première fois que l'on voit un sourire sans chat."